Bonjour à toutes et à tous,
Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’accouchement à domicile et plus précisément de la première question que l’on se pose souvent à ce sujet, celle de la sécurité. C’est du moins la question que j’entends le plus fréquemment quand j’accompagne les couples qui commencent à songer à un accouchement à domicile (AAD pour les intimes, soit accouchement assisté à domicile), et également la première question/remarque qui revient lorsqu’on parle de nos accouchements à domicile: les miens personnellement, et ceux que j’accompagne en tant que doula. « Oui, mais s’il arrive quoi que ce soit au bébé? ».
Cette question est bien sûr légitime, car quel que soit notre projet de naissance, il est clair que le premier objectif, pour tout le monde, c’est que tout se passe bien, pour le bébé qui naît, et pour la maman qui enfante. Je n’ai d’ailleurs jamais entendu personne répondre à cette question: « Oui, mais s’il arrive quoi que ce soit au bébé? – Tiens ah oui mince, je n’y avais pas pensé! ». Non les gars. Quand on prend le chemin de l’accouchement à domicile, on reste une maman, un papa comme les autres: la première préoccupation, c’est TOUJOURS la sécurité. Et quand je dis pour tout le monde, j’entends par là pour les futurs parents bien sûr, mais aussi pour les professionnel.les qui les accompagnent, c’est à dire les sages-femmes (et les rares médecins généralistes) qui pratiquent les naissances à domicile et les doulas qui peuvent être présentes à la demande des parents. Car c’est vraiment dans l’intérêt de tout le monde que tout se passe au mieux, vous vous en doutez bien!
Dans cette optique, commençons par une précision d’importance, l’AAD se distingue non seulement de l’accouchement hospitalier programmé (AHP), mais aussi de l’ANA, accouchement non-assisté, comprenant les accouchements inopinés (pas le temps d’aller à la maternité) et les accouchements programmés sans assistance médicale, donc les projets de naissance sans aucun professionnel de santé.
Le coeur du projet d’AAD, c’est donc non seulement d’accoucher chez soi, mais avec l’assistance médicale d’une sage-femme.
Edit du 29 août – Les résultats d’une étude d’une grande ampleur sont sortis tout récemment dans le courant du mois d’août: Cette recherche démontre clairement que le risque n’est pas différent lorsque la naissance est destinée à être à la maison ou à l’hôpital. […] Nos recherches fournissent des informations indispensables aux décideurs, aux prestataires de soins, aux femmes et à leurs familles lors de la planification de la naissance » par Eileen Hutton, professeure émérite d’obstétrique et de gynécologie à McMaster au Canada, directrice fondatrice du McMaster Midwifery Research Center et première auteure de l’article.
Protocole des sages-femmes AAD
En règle générale, les sages-femmes AAD ont leurs protocoles et fonctionnements respectifs, qu’il convient de connaître et qui permettent de garantir la sécurité des futurs parents et du bébé à naître! Voici les grandes lignes des protocoles des sages-femmes AAD avec lesquelles j’ai pu travailler et échanger:
- En tout premier lieu, l’AAD est réservé aux femmes qui vivent une grossesse physiologique, c’est à dire une grossesse qui n’est pas considérée comme grossesse à risque. En gros, tous les signaux doivent être au vert: pas d’antécédents de pathologie obstétricale, pas de grossesse gémellaire, un bébé et un placenta bien placés, etc…
- Les futurs parents constituent un dossier à la maternité, comme pour toute naissance, avec visite auprès de l’anesthésiste et d’une sage-femme hospitalière dans les deux derniers mois de la grossesse, pour faciliter l’accueil en cas de transfert.
- Les sages-femmes AAD sont équipées et formées pour intervenir en cas de besoin sur la mère comme sur le bébé en attendant les secours pour un éventuel transfert (monitoring, aspirateur trachéal, oxygène etc)
→ Globalement, la peur la plus fréquente et le risque le plus commun, reposent sur le délai de soins adaptés en situation d’urgence, si la maman et/ou le bébé nécessitent l’intervention d’une équipe médicale au complet, ou de matériel de santé qu’on ne trouve que dans les hôpitaux.
A mon sens, cette peur repose énormément sur une comparaison biaisée de la naissance à domicile et de la naissance à l’hôpital, car un facteur de risque que l’on ne prend que trop rarement en compte est celui de l’accompagnement humain. Dans une maternité, les sages-femmes accompagnent plusieurs femmes qui enfantent en même temps, ce qui signifient que la surveillance du travail n’est pas continue: c’est d’ailleurs le rôle des monitoring de surveiller l’activité cardiaque de bébé sur un certain laps de temps, ce qui permet de « contrôler » que tout va bien pour plusieurs femmes en même temps, les sages-femmes allant des unes aux autres en vérifiant le tracé du monitoring.
Si cette procédure a des avantages de rentabilité évidents, elle laisse de côté tout un pan de l’observation clinique des femmes en train d’accoucher, et qui donne pourtant des indications précieuses de ce qu’elles sont en train de vivre: positions, sons, crispations ou détente, émergence de peurs, de douleurs, faim, soif, envie de vomir, etc… Ces observations sont quasi impossibles lorsque toute une équipe s’occupe de plusieurs femmes en même temps, effectuant de surcroît des rotations selon les heures et les stades de l’enfantement. Sur le tracé du monitoring, tout va bien au sens où bébé n’est pas en souffrance, mais la future maman qui commence peut-être à s’épuiser, ou dont le bébé est coincé dans le bassin, dont le bébé ne « descend pas », dont la dilatation ne s’effectue pas, est seule avec sa douleur et sa fatigue, rarement prise en compte autrement que par le biais d’une péridurale qui ne solutionne pas le problème directement (ça ne fait pas descendre bébé, ça ne dilate pas magiquement le col etc, ça fait juste disparaître les symptômes!). Bien souvent, la situation dure un certain temps, et s’il n’y a toujours rien de visible au monitoring, l’accouchement gagne en longueur, la mère est de plus en plus mal (mais ça passe à peu près inaperçu avec l’intensité des contractions et l’agitation habituelle de la maternité), et tout à coup PANIQUE, c’est l’urgence car le bébé commence à fatiguer lui aussi! Il faut tout à coup intervenir très vite pour « sauver le bébé », et « si on n’avait pas été à l’hôpital, ça aurait été la cata ». Oui, peut-être. Ou pas. 🙂
Car à l’inverse, dans le cas des AAD, les sages-femmes étant présentes exclusivement pour la femme en train d’accoucher, cette observation clinique de la femme qui enfante est évidemment différente: elle est beaucoup plus fine, beaucoup plus précise, d’autant plus si la sage-femme et la future maman se connaissent et ont une habitude l’une de l’autre, comme c’est le cas dans le suivi global qui précède habituellement l’AAD. Et si bébé est coincé, si la dilatation ne se fait pas comme espérée, si la mère commence à montrer des signes d’épuisement ou de souffrance, la sage-femme qui reconnaît un ralentissement du processus de la naissance va pouvoir guider la maman pour éviter d’en arriver à une urgence. On est là sur un rôle largement préventif et donc à mon sens beaucoup plus sécuritaire!
Le délai de soins qui fait donc souvent peur, face à l’urgence médicale engageant le bébé ou la maman, est donc à penser de manière complètement différente puisque dans le cas d’un AAD, le ou la professionnelle de santé est continuellement dans l’observation de sa patiente, prêt.e à intervenir puis à transférer au moindre signe clinique de danger, bien avant que le bébé ne montre de signes de souffrance via le monitoring (monitoring que les sages-femmes AAD effectuent également, qui fait partie de leur protocole pour s’assurer que bébé va bien aussi évidemment!).
Vous voyez ce que je veux dire?
C’est un peu comme lorsqu’on construit une maison: sur un chantier, si le maçon passe 1 fois par mois, en cas de fissure, on peut se retrouver avec une grosse situation à gérer, qui fragilise la maison, alors que si le maçon passe tous les jours, il est en mesure de repérer le tout début de la fissure et d’intervenir avant que la situation ne se dégrade! La situation de base est la même, mais la gestion humaine du problème conduit à un résultat complètement différent. On peut donc difficilement transposer les vécus individuels de situation d’urgence « heureusement que j’étais à l’hôpital sinon… » pour mettre en avant le fait que l’AAD représente un risque pour les bébés ou les mamans.
Physiologie de la naissance
Pour parler plus en profondeur de sécurité, je trouve important de faire un petit point sur le processus de la naissance, c’est à dire la physiologie de la naissance, comment ça se passe, quand tout se passe bien.
- D’abord le premier élément indispensable au bon déroulé de la naissance, c’est l’ocytocine, c’est à dire l’hormone que notre corps sécrète, et qui est comme le moteur de la naissance. Sans ocytocine, pas de contractions, et sans contractions, pas de dilatation ni de descente du bébé. L’ocytocine est essentielle aux naissances par voie vaginale, or, c’est l’hormone du plaisir et de l’intimité. C’est à dire que plus nous nous sentons dans un environnement agréable, intime, sécurisant pour nous, plus nous fabriquons d’ocytocine, et donc plus notre accouchement est rapide et secure. Quel est le lieu le plus intime, le plus agréable et celui où vous vous sentez le plus en sécurité, dans votre cocon?
- Un autre point important de la physiologie de la naissance, c’est donc de pouvoir se laisser aller, de suivre le rythme progressif de la naissance, et de fait, un AAD permet de vivre beaucoup moins de rupture de rythme que dans le cas d’une naissance en milieu hospitalier, où de nombreuses étapes vont être marquées: le départ de la maison, qui nous change d’environnement, l’arrivée à la maternité, l’attente éventuelle dans un espace temporaire, la chambre, la salle de travail, la salle de naissance. Chaque changement de lieux effectué en fonction de protocoles extérieurs au processus de naissance, marque des ruptures du rythme de la naissance, et donc peuvent provoquer un ralentissement du travail, entravant le bon déroulé de l’accouchement.
- Si on combine cela avec le fait qu’on est souvent paradoxalement moins mobile en milieu hospitalier, notamment à cause de ces fameux monitoring, et parce qu’on ne s’autorise tout simplement pas forcément à bouger comme on le voudrait, à changer de pièce si on en ressent le besoin etc (changement d’espace induit par notre besoin intérieur et non par la gestion des équipes hospitalières!), et bien on comprend qu’il y a de fait une physiologie de la naissance d’avantage respectée à domicile, comparée à la maternité, quelle que soit la bienveillance de l’équipe, la présence de salle nature etc. Et qui dit physiologie plus respectée, dit accouchement plus physiologique, donc moins pathologique, donc plus secure. That’s it! En gros, à la maison, il y a beaucoup beaucoup moins de risques que le processus d’accouchement soit perturbé.
- Enfin un élément non négligeable qui rend l’accouchement à domicile sécuritaire, c’est la préparation des futurs parents. Car généralement, quand on se lance dans ce projet, on s’informe beaucoup, on se fait accompagner pour trouver des outils de gestion de la douleur, on apprend tout ce qu’on peut sur le processus de la naissance, sur les gestes qui le facilitent ou qui l’entravent et l’on est globalement beaucoup mieux préparé.e.s à gérer toutes les émotions qui peuvent survenir pendant la naissance. Donc moins enclins à la panique, au doute, au stress, donc plus en confiance, ce qui nous aide à générer, vous l’aurez compris un sentiment de bien-être propice au développement de notre belle ocytocine. Et oui!
Les chiffres
Pour parler de sécurité de manière tangible, il suffirait de pouvoir présenter des chiffres concrets mettant en comparaison les taux de mortalité périnatale et maternelle dans les AAD et dans les AHP (accouchement hospitalier programmé) mais ces chiffres présentent plusieurs biais.
Edit: L’étude de début août dont je parlais en début d’article s’est déroulé sur le territoire d’Amérique du nord, et pour l’instant il n’y a pas de chiffres tangibles en France. Cela dit nos contextes de développement sociétaux étant assez similaires (accès aux soins, suivi des grossesses, formations des sages-femmes, maillage du territoire etc), on peut en déduire que la tendance sera assez similaire. 🙂 Pour en lire d’avantage, vous pouvez suivre ce lien qui développe le sujet, sur le site de l’Apaad.
Je laisse ce paragraphe à la lecture, rédigé avant la parution de cette étude, car il permet de déconstruire certaines idées préconçues sur l’AAD, et qu’en cela je le trouve toujours intéressant. 🙂
→ Les différentes études favorisant l’accouchement en maternité mettent en avant un taux de mortalité plus important pour les naissances hors cadre hospitalier, mais soulignent qu’il n’y a pas de distinction faîte entre les accouchements à domicile non-assistés et les AAD, ce qui change drastiquement les risques, puisque dans le cas des accouchements non-assistés (volontaires ou non, ça peut être inopinés), aucune sage-femme n’est présente, et donc aucun protocole de santé n’est assuré par un professionnel. Les accouchements inopinés présentent également une situation complètement différente puisque les futurs parents ne se sont pas du tout préparés à la situation, et nous l’avons vu la préparation et le sentiment de choix sécuritaire jouent un rôle énorme dans le bon déroulement de la naissance! Le stress étant un facteur de complication non négligeable, on peut facilement imaginer l’effet d’une naissance inopinée sur le degré de stress de la future maman comme du futur papa.
Le mot de la fin
Pour conclure, le propos de cet article n’est pas de dire que l’AAD est plus sécuritaire que l’accouchement en milieu hospitalier, et que nous devrions toutes et tous accueillir nos bébés dans la douceur de nos foyers. L’idée c’est plutôt de mettre en avant le fait que l’endroit le plus sécuritaire pour accoucher, quand on a checké que tous les signaux sont au vert, c’est d’accoucher là où nous nous sentons en sécurité, là où nous avons envie d’accoucher, car ce sentiment impacte sur la naissance. Et que les personnes qui font le choix de vivre ou d’accompagner des naissances à domiciles ne sont pas des illuminées inconscientes et complètement irrationnelles!
J’espère que cette lecture aura donné des éléments de réflexion à celles et ceux qui réfléchissent à cette éventualité, ou qui sont décidés pour un AAD mais qui font face aux peurs de leur entourage. Piste, transmettez-leur le lien vers cet article 🙂
Allez, prenez bien soin de vous, on se retrouve sur insta pour partager, et surtout prenez bien soin de vous!
Kristelle
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